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Enfants et écrans : des ressources pour les pros

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La thématique des écrans et des enfants est un sujet d'actualité pris en compte dans le monde des bibliothèques. Après avoir envisagé la question du point de vue parental puis des enfants, nous allons envisager ici les aspects professionnels.

Visuel enfants et écrans
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Le rapport À la recherche du temps perdu a servi de principale source d'information et a déjà été évoqué dans un précédent article. Il a été rédigé par la Commission créée par le Président de la République en 2024. Les objectifs de cette Commission étaient d'évaluer les impacts de l'exposition des enfants aux écrans et des actions mises en œuvre sur la question ainsi que formuler des recommandations.

Nous vous proposons une synthèse de ce rapport avec  : 

  • des chiffres clés autour des usages et équipements numériques
  • un état des connaissances sur les impacts de l'exposition aux écrans
  • des propositions à mettre en place sur la question des enfants et des écrans
  • des ressources 

Enfants et écrans : quelques chiffres 

Le rapport propose un état des lieux des usages et équipements repris et mis à jour dans cette infographie (cliquez sur l'image) : 

Infographie Enfants et écrans

 

L'état des connaissances sur les impacts de l'exposition aux écrans

L'exposition des enfants et des adolescents aux écrans soulève des préoccupations quant à leurs impacts sur la santé et la sécurité. Il est toutefois important de distinguer ce qui est scientifiquement établi de ce qui nécessite davantage de recherche.

Les impacts physiques

Le sommeil, essentiel au développement cognitif, émotionnel et physique, est particulièrement affecté. 
Les mécanismes en cause sont multiples : réduction du temps de sommeil, stimulations cognitives lors des réveils nocturnes, contenus stimulants ou inadaptés, exposition à la lumière bleue, temps consacré à l’activité physique limité.
Le temps passé excessivement sur les écrans contribue à la sédentarité et au risque accru de surpoids et d'obésité chez les enfants et les adolescents. Les données françaises révèlent une situation préoccupante : activité physique insuffisante dès la petite enfance, taux de surpoids ou d'obésité chez 1 mineur sur 5. Les écrans ne sont pas seuls responsables, mais leur usage excessif s’intègre dans un mode de vie globalement plus sédentaire.
Les effets de l’exposition aux écrans sur la santé visuelle sont aujourd’hui documentés, notamment chez les enfants et les adolescents dont le système visuel est encore en développement. Le lien entre usage intensif des écrans et augmentation de la myopie est de plus en plus étudié. D’ici 2050, la moitié de la population mondiale pourrait être concernée.
D'autres risques sont en cours d'évaluation  : ondes et radiofréquences, troubles hormonaux, exposition à des substances chimiques, troubles musculosquelettiques. Les résultats de ces recherches ne sont pas encore tranchés mais amènent à adopter des usages raisonnés sans céder à l'alarmisme.
 

Les impacts neurologiques et socio-relationnels

Les écrans des adultes, parents comme professionnels, peuvent perturber la relation avec l'enfant : phénomène de technoférence.
Des études pointent également des effets légèrement négatifs ou neutres entre temps d'écran et apprentissage du langage. Ces effets sont accentués chez les enfants issus de milieux sociaux défavorisés. En revanche, du covisionnage de qualité avec les parents peut avoir un effet plus favorable.
Pour les enfants plus âgés et les adolescents, les questionnements portent sur l'apprentissage de la lecture, les résultats scolaires et les symptômes dépressifs. Cependant, les effets varient selon le  contexte, le type d’écran, de contenu et d’usage. C'est moins le temps d’écran seul que la qualité des usages et leur empiètement sur d’autres activités clés qui pose question.
En matière de santé mentale, notamment de dépression et d’anxiété, l’utilisation des réseaux sociaux semble être un facteur de risque lorsqu’il y a une vulnérabilité préexistante, notamment chez les jeunes filles.
 

L'exposition aux contenus inadaptés

L’accès non maîtrisé des mineurs aux écrans les expose à des contenus inappropriés , parfois traumatiques, pouvant mettre en cause leur équilibre, leur santé et leur sécurité.
L'âge moyen de première exposition à la pornographie a diminué, les sites pour adultes restant facilement accessibles et les dispositifs de contrôle parental étant insuffisamment activés et limités.
Les mineurs sont également exposés à des risques pour leur sécurité, notamment la cyberintimidation et la pédocriminalité.

La question des impacts sociétaux liés notamment aux représentations et stéréotypes, aux fausses informations virales et aux bulles algorithmiques est également posée.

Si les préoccupations liées à la santé sont donc diverses et l'exposition aux écrans fait l'objet de nombreuses recherches. Le rapport ne fait  pas pour autant  un procès à charge contre le numérique qui peut ouvrir les horizons d’échanges des enfants, leur permettre de préserver des liens, de nourrir leur besoin de socialisation, participer à sortir de l’isolement, offrir l’accès à du soutien ou ouvrir des espaces de création.

 
 
La quatrième partie du document, intitulée « Exposition des enfants et des adolescents aux écrans » : quelle ambition et comment la concrétiser ? présente des propositions à mettre en place sur la question des enfants et des écrans. L'objectif de cette partie est de définir une politique publique offensive et cohérente face aux enjeux liés à l'exposition des jeunes aux écrans, en favorisant une mobilisation sociétale impliquant tous les acteurs. La Commission est en effet convaincue que cette réponse doit être collective et systémique incluant aussi bien les jeunes que les adultes.
Les propositions s’articulent autour de 6 axes principaux.
 

Axe n°1 : S'attaquer aux conceptions addictogènes et enfermantes de certains services numériques. 

 

Priorité au bien-être des usagers et droit au paramétrage

Il s’agit ici de réglementer la conception des services numériques afin qu’ils ne soient pas conçues pour être addictifs (défilement infini, dark pattern, usage des algorithmes…). Des tests et des audits des plateformes seraient organisés pour déterminer l’impact de celles-ci sur le bien-être des utilisateurs (il n’est pas cohérent d’attendre que les plateformes elles-mêmes s’auto régulent sur la question de l’économie de l’attention). Les tests seraient en cohérence avec le règlement européen sur les services numériques (Digital Service Act)
Egalement il s’agirait de reconnaître un nouveau « droit au paramétrage » pour redonner du pouvoir à l'utilisateur. Par défaut, les paramétrages incluraient des protections pour les mineurs.
 

Axe n°2 : Protéger, plutôt que contrôler, les enfants : une bataille qui doit se mener et peut se gagner auprès des acteurs économiques

 

Développement des logiciels de contrôle parental et ouverture culturelle

Différentes solutions de lutte contre l’exposition aux contenus inappropriés sont également présentées, notamment en développant l’offre de contrôle parental (lien avec les opérateurs, interface commune sur plusieurs plateformes, conditions d’accès spécifiques pour les personnes mineurs). L’accent est mis sur l’importance du dialogue avec l’enfant lors de la mise en place de ce type d'outil.
Une autre piste serait de permettre aux jeunes de s’informer par un autre intermédiaire que celui des contenus massivement plébiscités en ligne. Prenons l’exemple de la sexualité et de la pornographie. Les jeunes en recherche d’informations doivent pouvoir trouver en ligne, en médiathèque, dans les établissements scolaires… des récits, des réponses à leurs questions légitimes sur la vie affective et sexuelle, qui soient éloignées des conceptions présentées dans la pornographie, et ainsi accéder à une ouverture culturelle. C’est ici notamment que les médiathèques ont un rôle a jouer dans la sélection de contenus et leur médiation la plus étendue possible.

 

Axe n°3 : Assumer et organiser une progression des usages des écrans et du numérique chez les enfants en fonction de leur âge

 

Etapes clés de la vie et jalons numériques

La protection et l'émancipation des jeunes face aux écrans seraient liées par les étapes clés de leur vie. A savoir pas d’écrans ni jouets connectés autres que les boites à histoires avant 3 ans, un usage accompagné de 3 à 6 ans puis à partir de 7 ans une exposition modérée, progressive et contrôlée. Après 15 ans l’inscription des jeunes serait envisagée sur des réseaux sociaux éthiques, dont la liste pourrait être définie par l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique).
Cet âge de 15 ans correspond en outre à une borne d’âge importante déjà fixée par le RGPD en matière d’échange de données personnelles et à la majorité numérique fixée dans la loi dite Marcangeli (Proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne)
Aucune recommandation de temps d’écran n’est donnée dans ce rapport car il est impossible de proposer un modèle unique à une diversité de profils. Il apparait préférable de recommander l'instauration d'un dialogue familial aboutissant à l'établissement de règles et limites propre à chaque foyer
 La commission apporte des précisions sur l’équipement des jeunes en téléphone portable. Il est déconseillé au moins de 11 ans pour des raisons de santé notamment (troubles du sommeil, développement de la myopie, exposition à la lumière bleu, augmentation de la sédentarité). Entre 11 et 15 ans, un usage de téléphone portable serait privilégié sans accès aux réseaux sociaux ni aux contenus illégaux.L’achat de smartphone est réservée à l’entrée au lycée.
 
 
 

Axe n°4 : Préparer sérieusement les jeunes à leur autonomie sur les écrans, leur donner le pouvoir d’agir et, dans le même temps, redonner toute leur place aux enfants et aux jeunes dans la vie collective

 

Formation au numérique et rôle des médiathèques

Cet axe vise à éduquer, accompagner et outiller les jeunes face au numérique, tout en proposant des alternatives. De nombreuses actions sont centrées autour de l’Education Nationale. Elles visent à éduquer et former les jeunes au numérique dès l'école élémentaire, en incluant la sensibilisation au fonctionnement du cerveau face aux écrans, aux biais cognitifs, aux enjeux de santé et environnementaux. Elles mettent également l’accent sur la sensibilisation des enseignants à leur usage personnel des écrans sur le temps scolaire. Il sera nécessaire de repenser la place des écrans à l'école et de coordonner le déploiement d’outils dans les établissements incluant les impératifs sanitaires, pédagogiques et d'égalité.
Les médiathèques ont un rôle essentiel à jouer, aux côtés des enseignants, pour l’éducation au numérique au sens le plus large, que ce soit en recherche d’informations en ligne, éducation aux médias, développement de l’esprit critique ou pour positionner les bibliothécaires comme adultes référents lors du temps scolaire mais également en dehors de celui-ci. L'offre de ressources des médiathèques et les médiations qui y sont proposées s'inscrivent dans le déploiement de "contre-mesures" pour limiter les effets des écrans et promouvoir des alternatives à ceux-ci.
 

Axe n°5 : Mieux outiller, mieux former au numérique et mieux accompagner les parents, les enseignants, les éducateurs et tous ceux qui interviennent auprès des enfants, tout en organisant une société qui remet l’écran et le numérique à sa juste place

 

Place de la formation des adultes

Cet axe cible les parents, enseignants, éducateurs et tous les adultes en contact avec les enfants, soulignant leur besoin d'être épaulés pour soutenir les jeunes. La formation des professionnels, la sensibilisation des parents et futurs parents, ainsi que l'organisation d'échanges sur l'exposition aux écrans lors des visites médicales aux âges clés constitueraient des actions essentielles pour développer le pouvoir d'agir des personnes. 
L’offre en direction du très jeune enfant et des parents, disponible en médiathèque, aiderait à renforcer et systématiser un soutien de qualité à la "parentalité numérique" par l’intermédiaire d’ateliers parents/enfants, de labels pour identifier les dispositifs d'accompagnement, et une communication ciblée lors des étapes clés de l'enfant. 
Plus largement, la Commission amène à repenser la place des écrans dans la société en particulier dans la vie des adultes. Cela implique de limiter la présence des écrans dans l'espace public, instituer des rituels de déconnexion, promouvoir un droit à la déconnexion pour les parents.
 

Axe n°6 : Mettre en place un dispositif ambitieux de gouvernance permettant à la puissance publique de définir une véritable stratégie, de disposer de capacités de pilotage, de pouvoir mieux soutenir les acteurs qui interviennent auprès des jeunes et des familles, et d’informer les citoyens

 

Création d'une agence, chef d'orchestre des propositions

L’ensemble de ces propositions ne pourrait émerger sans la création d’une agence dédiée, financée par un fonds d'État, alimenté par les acteurs du numérique via leurs contributions liées au DSA (Digital Services Act - Réglement sur les services numériques) et leurs amendes. Une communication mettant en avant la santé et le développement de l'enfant seraient réalisée. La recherche multidisciplinaire et l'ouverture des données seraient également subventionnées car ces secteurs ne sauraient conserver leur indépendance dans la durée si leur existence dépend de fonds privés. 
 
La Partie 4 expose une vision ambitieuse et les voies pour la concrétiser, en ciblant les responsabilités des acteurs numériques, en proposant un cadre d'accompagnement des jeunes et des adultes, en repensant la place des écrans dans la société et en établissant une gouvernance et un financement solides pour soutenir cette stratégie.